• • Suprêmatie

Cet après-midi annonçait un temps chaud. Les températures atteignaient les vingt-sept degrés. Aujourd’hui, seuls quelques nuages blancs parsemaient le ciel bleu. Ils étaient très petits, presque invisible à l’œil humain. Aucun souffle de vent. Hier pourtant, l’orage avait éclaté, se transformant pratiquement en une tempête de pluie et de rafales. Tout était calme à la campagne, en ville, les passants se reposaient et se désaltéraient aux points d’ombre, aux petits snacks et aux tables aux grands parasols rouges et blancs. Un temps idéal pour se promener avec sa famille, sortir son chien, jouer avec les enfants. Mais cette chaleur assommait plus d’un et beaucoup restaient chez eux, près du ventilateur !

Un grand camion, avec six places, se gara dans la cour de gravier avec un bruit de moteur très sourd. Il était d’une carrosserie blanche, avec comme motif trois chevaux de course qui galopaient sur une grosse ligne bleue. Eux-mêmes étaient d’une couleur marine. Un véhicule d’une écurie de course, qui avait de bons moyens. Une femme d’une trentaine d’année sortit du côté gauche, et le conducteur l’accompagna jusqu’à l’arrière du van. Suprêmatie, dans l’ombre, fit un peu bousculée par l’arrêt de la machine à quatre roues. Elle frappa de son sabot, agacée de rester dans l’obscurité, même si une petite fenêtre lui procurait un peu de clarté. Enfin, les portes s’ouvrirent. Elle laissa seulement le temps à son lad de décrocher la longe et recula sur la rampe, avec un vacarme de martèlements de sabots. Le lad suivit le rythme de la jument et raccourcit sa poignée. La propriétaire de la pouliche noire referma les portes et demanda au palefrenier à lui donner la corde.

Tout de suite, la Pur-Sang se calma mais effrayée par cet endroit désert, rien à voir avec son écurie pleine de coureurs, elle leva les antérieurs d’une vingtaine de centimètres, roulant les yeux dans tout les sens et montrant leur blanc. Elle ronfla des naseaux et frappa le sol de son sabot brun clair, presque beige. Le lad retourna dans le van, pour chercher tout les équipements de la jeune jument pleine de vie. Celle-ci tournait nerveusement autour de Mme Rimon, qui lui flattait l’encolure tout en lui disant des mots qui avaient toujours réconforté la fille de Last Chance et de Suprême de l’Orca. La femelle ébène s’ébroua et arrêta son petit cinéma, mordillant gentiment le bras de son ex-proprio. La femme aux cheveux bruns l’emmena vers les écuries de Summer Tourni, avec le regret d’avoir vendu sa championne. Suprêmatie suivit docilement, les oreilles raides et tendues vers l’avant, assez inquiète.

Un jeune homme arriva et échangea des phrases d'un langage incompréhensible pour Suprêmatie avec sa propriétaire. Ensuite, celle-ci s'en alla, laissant seule la pouliche de trois ans avec Erwan Laught. La Pur-Sang le regarda d'un oeil complètement désintéressé, le fixant intensément. L’humain lui tendit la main et la jeune championne, douteuse, regarda cette chose à cinq pointes.

* Qu’est-ce que tu m’veux ? *

Elle approcha ses naseaux de cette main, méfiante, puis recula vivement sa tête, changeant de sujet. Elle dressa haute et fière sa tête rectangulaire, typique du cheval de course, prenant un air dominant et supérieur. En effet, notre jeune jument voulait « dominer le monde ». Un très gros défaut ! Détestant recevoir des ordres, elle prenant souvent le dessus sur son jockey lors des courses. En fait, étant joueuse de nature, elle devenait rapidement insupportable pour un cavalier dont la patience n’était pas le fort !

Elle réfléchit un peu, le temps de deux secondes de calme puis hennit sans aucune raison. Repensant aux courses qu’elle gagnait avant d’être vendue ici, elle se mit à piaffer.

Suprêmatie se laissa fletter l'encolue par Erwan, même si elle n'en avait pas très envie. Elle baissa légèrement les oreilles et se désintéressa du jeune homme. elle tourna les yeux autour d'elle, regardant si rien ne pouvait l'effrayer. De ce côté, les boxes, de l'autre, quelques paddocks. Mais ?! Où était la piste de galop ?! Suprêmatie, frustrée, pila et mordit l'air. Une odeur parvint à ses naseaux. Elle fit le flehmen et chercha cette petite friandise. Malheureusement, elle était dans la main du jeune homme.

* Maiiis ! Pose là par terre heu ! *

Elle renifla la paume toute plate et tourna fièrement la tête sur le côté, l'encolure haute, chose qui la grandissait. Elle réfléchit un moment puis donna un coup de naseaux dans l'épaule du garçon.

* Hey l'bipède ! Tu me feras courir ? Hein ? Hein, steuplaît ! *

Elle se remit à piaffer mais se calma quelques secondes après, fixant neutrement voire moqueusement l'humain. Suprêmatie hennit, espérant qu'un congénère lui réponde, mais rien, rien, le silence total.

* Tss ! *

Elle claqua la mâchoire dans le vide et tappa du sabot postérieur. Elle fouetta sagement l'air de sa queue, ennuyée de rester en place. Finalement, elle tira brusquement sur la longe pour avancer puis revint au bonbon. La question qu'elle se posait était : le manger ou le faire tomber à terre puis le manger ? La deuxième idée prit le dessus. A l'aide de son nez, elle bougea la gourmandise et fit tomber le bonbon à terre. Là, elle l'attrapa avec ses lèvres et le croqua, pour l'avaler ensuite, narguant le bipède du coin de l'oeil.

Suprêmatie se mit en marche, suivant Erwan, sans vraiment vouloir le dépasser. Elle était plus occupée à regarder autour d'elle que de vouloir jouer avec le bipède. Lorsqu'ils furent tout les deux sortis de l'écurie, une bonne odeur d'herbe attira l'attention de notre pouliche noire. Elle tournant sa tête dans tout les sens, elle remarqua des paddocks assez grands pour galoper. Elle hennit et piaffa d'impatience pendant que l'humain ouvrait la barrière. Elle ne laissa que quelques secondes à Erwan pour se reculer que déjà elle bondissait dans l'herbe. Elle fonça vers le fond, freina et trotta souplement, fière, puis prit encore une fois le galop, plus rapide cette fois. Elle longea la barrière, heureuse de se débattre enfin. Elle lança ses postérieurs au-dessus d'elle et s'arrêta lentement au milieu du pré. Elle arracha quelques herbes, les avala rapidement puis reprit sa course folle. Elle fonça une nouvelle fois vers la barrière et passa sa tête par-dessus, regardant l'horizon vert. Elle longea nerveusement la barrière, les naseaux vers le sol et les oreilles sur sa nuque et hennit. Mais personne ne lui répondit. Elle recommença son cinéma quelques fois, jettant un oeil sur le garçon. Elle panacha sa queue et dressa très haut l'encolure, comme elle avait fait dans les écuries. Plus rien ne l'intéressait à part elle-même. Elle pivota sur ses postérieurs, un peu comme dans la pirouette, et repartit au trot, le nez en l'air.